Ce texte s’inscrit dans la suite du propos que Pascal Nicolas-Le Strat a développé dans « Recherches d’outre-tombe. Ce que la Maison des associations nous dit maintenant qu’elle n’est plus ». Il poursuit donc le déploiement des pistes de réflexions ouvertes par cette « étude de cas » (la destruction de la Maison des associations), qui dit « nombre de questions et problèmes » sur les manières dont les politiques publiques interviennent en quartiers populaires en général et dans le quartier Jean Bart / Guynemer en particulier.
Comme certains ont pu le faire remarquer, la destruction de la Maison des associations a marqué, symboliquement, le point de départ de la rénovation urbaine du quartier Jean Bart / Guynemer. La façon dont cette opération a été effectuée donne donc à voir les prémices de ce qui pourrait être la « manière de faire rénovation » à Saint-Pol-sur-Mer, à savoir, comme le texte de Pascal Nicolas-Le Strat l’explicite : déplacement contraint, abandon (du lieu et de ses usages), absence de réels dispositifs de participation permettant de confronter les différents acteurs locaux pour d’éventuelles remises en question des programmes et/ou des propositions d’alternatives, absence d’explicitation sur les enjeux et motivations complexes liés aux prises de décision, refus de prise en compte des impacts sur les milieux de vie et sur les dimensions d’écologie locale au sens large.
En observant le vide laissé par cette démolition, en écoutant les différents témoignages des habitants et membres du collectif En Rue qui ont fait l’expérience de cet événement et en lisant le texte de Pascal, il m’a semblé que la situation venait soulever la question des droits politiques des habitants des quartiers populaires en temps de rénovation. S’il est évident que les questions de démocratie locale et de droits politiques s’interrogent et s’expérimentent toujours « en situation », alors les périodes de rénovation urbaine sont des moments probants où ces enjeux majeurs peuvent prendre plusieurs itinéraires : progression, stagnation, régression… C’est pourquoi ces questions entrent pleinement, et peut-être même prioritairement, dans l’écologie de l’attention que nous défendons à travers notre permanence de recherche. En effet, comme nous l’écrivions dans une fiche-action envoyée il y a quelque temps à l’ANRU : « La permanence de recherche contribue à installer et à faire vivre des « droits politiques » au sein du quartier, en lien avec les politiques publiques, parmi ces « droits » inhérents à la condition de citoyen : droit à la mémoire en tant que citoyens et habitants, droit à faire récit et à faire histoire, droit à documenter, à enquêter et à délibérer les questions d’intérêt commun, droit à informer et à être informé… ».
Parmi les droits qui nous semblent importants de venir travailler collectivement, pour « équiper » la démocratie locale du quartier durant la période de rénovation, celui de « droit à la participation » s’impose de lui-même, notamment parce qu’il a fait défaut dans la destruction de la Maison des associations et dans l’annonce du programme de l’ANRU aux habitants du quartier Jean Bart / Guynemer. En effet, on se rappelle que, lors de la réunion publique de la Politique de la Ville, il y a quelques mois, tous les habitants découvraient, stupéfaits, l’ampleur du chantier de rénovation sur leur quartier (destruction d’une dizaine d’entrées d’immeuble de la principale barre HLM). Ils apprenaient alors, deux choses, premièrement que l’écologie de leur quartier et de leurs vies quotidiennes allaient être douloureusement et durablement affectées et, secondement, que la programmation et la nature de ce bouleversement avaient été entièrement décidées sans eux. Si ces manières de faire rénovation sans les habitants nous semblent relever d’une très grande injustice sociale et spatiale, elles paraissent, en plus, déconnectées des dernières mesures adoptées et affichées par la Politique de la Ville elle-même.
En effet, il faut rappeler que, dans le texte d’orientation du 21 février 2014 (loi Lamy) qui, pour la première fois depuis la loi Borloo de 2003, redéfinissait les objectifs et les programmes d’action de la Politique de la Ville, la question de la participation des habitants apparaissait comme un tournant vers une autre manière d’aborder les programmes d’action en direction des quartiers prioritaires. Ainsi, si la Politique de la Ville a connu plusieurs périodes, celle dans laquelle nous serions sensés nous trouver actuellement, depuis l’adoption de la loi Lamy, différerait de la précédente, notamment parce qu’elle devrait « pour la première fois [inclure] le principe fondamental de co-construction de la Politique de la Ville avec les habitants ».1 Force est de constater que la rénovation urbaine que l’on nous présente à Saint-Pol-sur-Mer en 2020 n’a pas encore adopté ces principes fondamentaux, qu’elle reste donc bloquée sur une période antérieure où la démocratie participative faisait défaut.
Le texte de Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache intitulé « Pour une réforme radicale de la politique de la ville. Ça ne se fera pas sans nous. Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires »2, qui était un rapport de mission commandé par François Lamy quelques mois avant sa réforme, pointait du doigt, il y a sept ans déjà, l’urgence d’un renouvellement des pratiques politiques en quartier populaire, en insistant sur la question de la participation et de l’empowerment (le pouvoir d’agir) des habitants. Si nous bénéficions donc de plusieurs rapports et textes de lois pour venir à la fois dénoncer les manquements dans les obligations de nos administrateurs locaux et appuyer toutes revendications qui viseraient une plus grande prise en compte de la place des habitants dans la rénovation urbaine, il reste maintenant à expérimenter, de façon concrète, ce que pourrait vouloir dire : participer et co-construire un programme de rénovation. À cet endroit, aucune loi, aucun rapport de mission, ne peut venir tracer d’itinéraires précis, puisqu’il s’agit d’expérimenter collectivement (et avec la multiplicité des acteurs en présence) ce droit politique.
Plusieurs exemple d’expérimentation citoyenne de droit à la participation en période de rénovation pourraient être mobilisés pour donner à voir d’autres manières de faire l’ANRU. Nous avons par exemple en tête le cas de l’annulation d’une destruction d’une tour d’habitat social à Saint-Denis par un vote citoyen, exigé par les habitants3, qui estimaient ne pas avoir fait entendre leurs voix dans le projet de rénovation urbaine qui leur était présenté. Ainsi, le « Pas sans nous » aurait toute légitimité à s’imposer et prendre une large part au projet de rénovation du quartier Jean Bart / Guynemer. Ce dernier n’aurait d’ailleurs pas à s’imposer nécessairement « contre » la Politique de la Ville, mais pourrait s’expérimenter avec elle, dans le cadre politique et législatif (et en le débordant joyeusement) que nous avons rappelé plus haut. Ne pas donner une chance à cette manière de « faire ensemble », radicalement différente de celle qui a donné lieu à la destruction de la Maison des associations il y a quelques semaines, serait un aveu d’échec important pour un projet de rénovation urbaine qui verrait le jour à notre époque.
Louis STARITZKY
- Thomas Kirszbaum, En finir avec les banlieues ? : Le désenchantement de la politique de la ville, Nouvelles éditions de l’Aube, 2015 [↩]
- Rapport consultable ici : http://www.ville.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-participation-habitants.pdf [↩]
- https://appuii.wordpress.com/st-denis-franc-moisin-bel-air/ [↩]