Quartiers Jean Bart / Guynemer (Saint-Pol-sur-Mer, agglomération de Dunkerque) et Degroote (Téteghem)
Permanence de Recherche • 2018/2021
Projet En Rue
En Rue est à la fois un projet urbain, citoyen et culturel, lancé à l’initiative d’habitant·es des quartiers Guynemer et Jean Bart à Saint-Pol-sur-Mer (agglomération de Dunkerque) et qui a été également actif dans le quartier Degroote à Téteghem. Dans une perspective d’écologie urbaine et sociale, lors des chantiers En Rue, des habitant·es, des architectes, des artistes et des éducateur·trices coopèrent pour rééquiper les espaces publics et améliorer le cadre de vie du quartier, en s’appuyant sur les savoir-faire et les pratiques des habitant·es et en privilégiant le réemploi de matériaux et objets urbains déclassés. En Rue ouvrira en septembre 2019 dans les quartiers Jean Bart / Guynemer un « lieu » (nommé Le Cube) qui fera « commun » pour les habitant·es ; ce lieu fermera en raison de l’hostilité de la municipalité.
Entre mai 2018 et janvier 2021, une équipe de chercheur·es en sciences sociales, composée de Martine Bodineau, Louis Staritzky et Pascal Nicolas-Le Strat (réseau des Fabriques de sociologie et Territoires en expérience(s), axe du laboratoire Experice – Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis & Campus Condorcet), s’est associée au projet En Rue. L’équipe inscrit son travail dans la filiation de la recherche-action et des démarches apparentées (recherche-expérimentation, recherche-création…). Dans le cadre du projet En Rue, elle a développé une « permanence de recherche », à savoir une présence en continuité, dans la durée, réengagée à l’occasion de chaque chantier. Cette approche est en affinité avec ce que Patrick Bouchain, Sophie Ricard et Edith Hallauer nomment « permanence architecturale », au sens où l’architecte se familiarise avec les lieux et tend à y devenir, pour un temps donné, un habitant ordinaire. L’équipe fabrique sa recherche en faisant expérience avec les personnes, en partageant les activités des acteurs.
Cette recherche-action En Rue a associé de manière régulière : Nabyl et Farid (éducateurs), Cheyenne (habitante, monitrice-éducatrice en formation), Jean-Michel, Francis, Karen, Nathalie, Yves, Claire (habitant·es), Morad (éducateur en formation), Saïd, Salem, Anthony, Fayssal, Christelle, Antoine (habitant·s, membres de l’association Éco-Chalet), collectif Aman Iwan (Feda, Christian, Côme, architectes), Patrick (ville de Dunkerque), Emmanuella (ville de Téteghem), Catherine (artiste, architecte), Claudine et Philippe (Conseil citoyen de Téteghem), Yann (animateur).
Elle a été développée à partir des orientations suivantes :
Des recherches conduites en coopération, en valorisant des dynamiques de co-élaboration et de co-production.
Les habitant·es et citoyen·nes d’un quartier disposent d’un riche savoir sur leur expérience. En tant que chercheur·es, nous lui portons attention (comment faciliter l’expression de ces savoirs ? Comment créer les conditions pour que, collectivement, nous puissions prendre connaissance et conscience de cette « expertise » que les personnes possèdent sur leurs conditions de vie ?) et nous lui portons considération (comment contribuer à la mobilisation et à la reconnaissance de ce savoir ? Comment renforcer sa légitimité ?). Il s’agit pour nous, chercheur·es, de contribuer à la valorisation de cet ensemble de connaissances et expertises.
Un collectif de recherche élargi.
La recherche n’est pas conduite par les seuls chercheur·es. L’ensemble des questions qui se posent à la recherche et que pose la conduite de la recherche elle-même concernent et intéressent toutes les personnes associées au projet, que ce soient les habitant·es du quartier, les usagers d’un lieu, les différent·es professionnel·les (éducatrice, chargée de mission, agent d’une Collectivité, architecte, artiste…). Il convient donc d’instaurer un cadre collectif, pluriel et pluraliste, afin que l’ensemble des enjeux de la recherche puissent être confrontés, discutés et éventuellement controversés.
Une recherche en expérience et en expérimentation.
Nous considérons que pour comprendre ce que vivent des personnes (le cœur de métier d’une recherche en sciences sociales), le mieux est de partager des expériences de vie et d’activité avec elles, en devenant en quelque sorte « membre » de leur communauté ou de leur groupe, durant le temps limité d’une recherche. C’est en faisant expérience avec les personnes concernées que nous pouvons espérer approcher les réalités qu’elles vivent et nous familiariser avec ce qu’elles ressentent et ce qu’elles pensent. Il s’agit donc pour nous de « venir en expérience » avec les protagonistes des situations qui intéressent notre travail. Nous n’hésitons pas à nous associer à leur activité, à jardiner quand nous menons des recherches dans un jardin partagé, à fabriquer ou bricoler quand nous nous intéressons à des pratiques de co-construction et d’auto-fabrication. Vivre par soi-même, en tant que chercheur, est un « outil » méthodologique particulièrement fécond. Nous n’hésitons pas non plus à « expérimenter » avec les personnes, en prenant l’initiative d’une activité ou d’un projet, en le co-concevant avec elles et en le réalisant en commun.
Une interpellation réciproque des savoirs et des expériences.
En tant que chercheur-es, nous ne visons pas à déconstruire les autres savoirs sociaux mais, au contraire, nous cherchons à interagir avec eux, car ces interactions sont particulièrement stimulantes et fécondes pour la recherche. Savoirs d’expérience (l’expérience des habitant·es, des professionnel·les mais aussi des chercheur·es), savoirs spécialisés (les savoirs associés à la diversité des pratiques sociales, professionnelles ou non), et savoirs de recherche s’interpellent, se confrontent et « s’éprouvent » réciproquement. Chacun de ces savoirs chemine et se développe à l’occasion de ces interactions, grâce à elles et avec elles. Nous pensons que l’ensemble des acteurs peuvent en tirer un bénéfice et que chaque type de savoir peut être fécondé par cette dynamique – chaque savoir parvenant alors à se formuler plus clairement, à être mieux reconnu, à enrichir son langage, à devenir plus conscient de ses possibles et potentialités.
Cette « permanence de recherche » en coopération avec En Rue a donné lieu à l’écriture de plusieurs articles de recherche, proposés ci-après. Ces textes ont été réunis dans quatre Brochures, distribuées de la main à la main au sein des deux quartiers concernés. Par ailleurs, cette recherche-action se caractérise par une expérience originale : les membres du collectif En Rue et les chercheur·es ont co-produit des « fanzines de recherche », au nombre de quatre, largement diffusés auprès des habitant·es et au sein des institutions publiques de l’agglomération de Dunkerque. À la toute fin de la recherche, le collectif Union urbaine a réalisé un film sur cette expérience.
Le corpus
Un film d’Union urbaine – L’En Rue en chantier
Au mois de janvier 2021, du mardi 22 au dimanche 24, Arsène Mbuma et Victor Van den Woldenberg, du collectif Union urbaine, nous ont rejoint pour trois journées lors d’une de nos résidences de recherche dans le quartier Jean Bart / Guynemer (Saint-Pol-sur-Mer). Cette résidence s’inscrivait dans la continuité de la recherche-action que nous avions menée avec En Rue depuis mai 2018 et elle faisait suite à d’autres résidences de ce type que nous avions organisées à l’occasion d’un financement (« Faire commun, faire recherche en quartiers populaires. Coopération, expérimentation, co-création ») accordé par l’École Universitaire de Recherche ArTeC. Le principe de ces résidences était de faire se rencontrer des chercheuses et chercheurs au travail en quartiers populaires, en s’invitant les un les autres dans nos quartiers respectifs. Cette résidence à Saint-Pol s’est tenue dans une église désaffectée, réinvestie par une association caritative (La Saint-Poloise) qui y a installé une friperie / brocante. Nous avions invité Arsène et Victor à venir filmer, sans formuler d’attentes particulières et en les laissant libre de leur regard et de leur envie. Un film est né de cette rencontre, mis en ligne en mai 2021 « À Saint-Pol-sur-Mer, l’En Rue en chantier ».
En chemin vers le cube (Recherche d’itinéraires, itinéraires de recherche)
Louis STARITZKY • novembre 2020
Dans ce texte, Louis Staritzky reparcourt les trois années de recherche-action avec le collectif En Rue, et les documente avec soin. Il en restitue les principaux moments, et en établit l’histoire. Il vient aussi en discussion avec les principaux écrits de recherche que l’équipe a produits tout au long de cette aventure. Ce texte est à la fois un retour sur expérience, une mise en problématique des principaux apports de cette recherche et une invitation à réengager ce type de démarche. Grâce à ce texte, cette recherche fait trace ; elle conserve la mémoire de ses principaux événements et elle peut, ainsi, devenir un appui, riche d’enseignements, pour d’autres chercheur·es qui voudraient relever le défi de ce type de démarche. Ce texte constitue une archive vivante, encore en devenir, de cette rencontre avec En Rue et de la dynamique de recherche qui en a découlé, en mettant en valeur plusieurs tentatives ambitieuses comme celle de co-éditer un fanzine de quartier ou d’ouvrir un lieu qui fait commun au sein d’un quartier populaire.
Droits politiques en temps de rénovation – Partie 1
Louis STARITZKY • juillet 2020
La destruction de la Maison des associations a marqué, symboliquement, le point de départ de la rénovation urbaine du quartier Jean Bart / Guynemer (Saint-Pol-sur-Mer). Cette destruction est évoquée aussi dans le texte de Pascal Nicolas-Le Strat « Rercherches d’outre-tombe. Ce que la Maison des associations nous dit maintenant qu’elle n’est plus ». Elle vient soulever la question des droits politiques des habitants des quartiers populaires en temps de rénovation. Le texte de Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache intitulé « Pour une réforme radicale de la politique de la ville. Ça ne se fera pas sans nous. Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires », pointait du doigt, il y a sept ans déjà, l’urgence d’un renouvellement des pratiques politiques en quartier populaire, en insistant sur la question de la participation et de l’empowerment (le pouvoir d’agir) des habitants. À cet endroit, aucune loi, aucun rapport de mission ne peut venir tracer d’itinéraires précis, puisqu’il s’agit d’expérimenter collectivement (et avec la multiplicité des acteurs en présence) ce droit politique.
http://www.ville.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-participation-habitants.pdf
Recherches d’outre-tombe • Ce que la Maison des associations nous dit maintenant qu’elle n’est plus
Pascal NICOLAS-LE STRAT • juillet 2020
La première décision dans le cadre de la rénovation du quartier Jean Bart / Guynemer, prise sans concertation et sans information des habitant·es, a été la démolition de la Maison des associations, implantée au cœur du quartier Jean Bart / Guynemer, au mépris de son utilité sociale, et dans une complète indifférence envers la richesse des activités qui s’y développaient. Cette destruction joue comme un révélateur, un analyseur, de la violence faite aux quartiers modestes et populaires. Elle fait émerger de nombreuses questions qui, elles, insistent durablement. Le travail sociologique relève alors, à ce titre, pleinement d’une hantologie, pour reprendre un néologisme avancé par Jacques Derrida en s’inspirant de la célèbre déclaration de Karl Marx : « un spectre hante l’Europe : le spectre du communisme ». Un spectre (démocratique) hante le quartier Jean Bart / Guynemer, le spectre de la Maison des associations, pour toutes les questions que sa destruction soulève et pour tous les problèmes d’intérêt public qui prennent forme à cette occasion. Une maison dont la disparition violente perturbe le présent du quartier mais qui, surtout, possiblement, hante son futur. Se référer également à l’article de Louis Staritzky, « Droits politiques en temps de rénovation ».
Petit lexique à l’usage de la recherche En Rue
Pascal NICOLAS-LE STRAT & Louis STARITZKY • novembre 2019
Une recherche est avant tout une aventure avec les mots. Quels sont les mots que la recherche En Rue a dépliés et déployés ? Dans ce petit lexique, nous avons tenter cet exercice de caractérisation et de définition pour quelques unes des notions qui ont ponctué le travail de recherche que nous avons conduit avec En Rue, en coopération avec ses acteurs. Les mots de la recherche En Rue : Commun, Démocratie participative, Démocratie contributive, Droit à la ville, Écologie de l’attention, Écosophie, Espace public, Espaces publics, Méthode de l’égalité, Micropolitiques des groupes, Réciprocité, Récit d’expérience.
Ce lexique a été publié sous le titre Sociologie de poche #01 chez Ours éditions :
https://ours-editions.kkaoss.net/produit/sociologie-de-poche-01/
Un lieu qui fait école (mutuelle)
Pascal NICOLAS-LE STRAT • novembre 2019
En juillet 2019, le collectif En Rue a commencé à occuper un bâtiment, resté longtemps délaissé, que la Commune de Saint-Pol-sur-Mer a mis à sa disposition. Le collectif rénove le lieu, dénommé Le Cube, et prévoit l’ouverture d’une cuisine solidaire, d’un atelier de construction et de réparation, d’espaces de création et de résidence d’artistes. Sur la façade du Cube, le collectif En Rue affiche ses espoirs et ses objectifs : « Ce lieu se définit comme une École mutuelle, c’est-à-dire un lieu qui se construit par la réciprocité : la transmission et la valorisation des connaissances et des savoir-faire de tous ». L’idée est que celui qui a fait est en capacité de transmettre son expérience, que celui qui maîtrise est légitime pour enseigner à l’autre.
La nouvelle vie de la maison vide
Martine BODINEAU • août 2019
À la mi-juillet 2019, le collectif En Rue fait son entrée dans le bâtiment du quartier Guynemer à St-Pol, confié par la Ville à l’association Eco-Chalet. L’installation de l’atelier bois et la rénovation des pièces intérieures ont commencé. Ce texte tente de saisir, en mots et en images, les traces que cette maison vide a conservées de sa vie d’autrefois, avant qu’elles ne s’effacent pour laisser place à l’installation d’un nouveau lieu, ouvert aux habitants du quartier.
Un « lieu » se bâtit (aussi) avec des mots
Pascal NICOLAS-LE STRAT • août 2019
Le vendredi 19 juillet 2019, le collectif En Rue a pris possession, dans le quartier Jean Bart / Guynemer à Saint-Pol, du bâtiment que la Collectivité a mis à sa disposition. Le « lieu » a été longuement parlé lors de réunions en fin de journée. Les mots ont pris place sur la terrasse, devant le local de la prévention spécialisée. Le « lieu » était physiquement éloigné. Les mots l’ont invité. Des mots éblouis de soleil. Des mots du dehors, au grand air. Parfois de grand vent. Les mots tempêtaient. Frissonnaient. Les mots s’énervaient. Parfois bruyants. Parfois murmurant. Des conciliabules à un bout de l’assemblée. Des tentatives de conciliation. Des apartés. Des franches rigolades. Des déclarations définitives, pour quelques minutes. Les mots esquissaient. Dessinaient. Le « lieu » était en construction. Énervés. Apaisés. Les mots jonchent la terrasse. La nuit les balayera. En attente de la discussion du lendemain. Un lieu se bâtit aussi avec des mots.
Paroles d’oiseaux
Martine BODINEAU • juillet 2019
Quartier Guynemer, Saint-Pol sur Mer. Du haut d’un immeuble… De drôles d’oiseaux commentent une réunion du Collectif En Rue et nous donnent un aperçu du nouveau lieu qu’il s’apprête à ouvrir dans le quartier. Une jolie scientification. Quand des oiseaux sont à l’écoute des humains.
Les manières de « faire collaboratif » : des expériences à Saint-Denis et à Dunkerque
Martine BODINEAU • novembre 2018
Qu’est-ce qui caractérise les modalités du « faire collaboratif » ? Quelles contraintes, quels ajustements imposent-elles ? Quelles possibilités particulières ouvrent-elles en terme d’apprentissage, de développement démocratique et d’émancipation ? Dans cet article, je propose d’explorer ces questions au travers des expériences collaboratives auxquelles je participe : la création d’un centre socioculturel sous statut coopératif et le collectif d’habitants de la « ZAC Basilique » à Saint-Denis ; le collectif « En Rue » qui construit du mobilier urbain dans les quartiers populaires des villes de Saint-Pol-sur-Mer et de Téteghem, situées à la périphérie de Dunkerque.
Cet article est paru dans la revue Agencements : Recherches et pratiques sociales en expérimentation, n°3, juin 2019, p. 80-95 :
La ferme de Jean-Michel • À propos d’une hétérotopie Saint-Poloise
Louis STARITZKY • octobre 2018
Lors du chantier de fin septembre 2018, moment de rentrée destiné à penser l’avenir des projets En Rue, la perspective de création d’une ferme pédagogique est mise en discussion. L’idée, déjà évoquée auparavant, est très largement renforcée par un récent échange avec Jean-Michel, habitant de Guynemer / Jean Bart qui s’est bricolé une petite ferme en périphérie du quartier, sur une parcelle de jardin d’une ancienne maison de la cité des cheminots. Jean-Michel nous invite à venir visiter sa petite ferme-jardin.
Lorsque nous découvrons son œuvre-jardinée, faite de poules, de lapins géants et de tout un ensemble de légumes, dont plusieurs d’entre nous auraient bien du mal à trouver le nom, il m’est venu à l’esprit une notion forgée par Michel Foucault à la fin des années 60 : l’hétérotopie. Il m’a semblé, en observant la ferme de Jean-Michel, petit bout de jardin résistant entre deux utopies déchues (la cité-jardin et le grand ensemble), qu’il s’agissait d’une hétérotopie.
Quand la recherche s’écrit en fanzine…
Louis STARITZKY • octobre 2018
Qu’il soit consacré à la musique rock, punk, au cinéma, à la bande dessinée, à la science-fiction ou à la politique (parfois même à la rénovation urbaine), le fanzine ouvre toujours, de par son caractère autoproduit et indépendant, un espace de liberté à celles et ceux qui décident de le faire exister. Produire un fanzine est donc une expérimentation politique. C’est d’abord l’affirmation que tout le monde est en capacité de créer son propre média (le DIY étant indissociable du fanzine), de diffuser sa propre culture, d’exposer et défendre ses propres opinions. Écrit avant tout par des amateurs pour des amateurs, le fanzine est un mode de communication horizontale qui s’inscrit radicalement dans ce que Rancière appelle une méthode de l’égalité. C’est l’aventure qui a été tentée avec les membres du collectif En Rue.
À la recherche des Marges
Martine BODINEAU • octobre 2018
Ce texte aborde deux questions: que font les sociologues quand ils sont là et quels concepts pourraient permettre de saisir et de formuler la « manière de faire » des chantiers En Rue ? Le concept des « marges » et celui des « petits miracles », inventés aux détours de conversations avec Patrick Le Bellec, ouvrent quelques pistes de réponse à l’une et à l’autre. Que font les sociologues quand ils sont là ? Qu’est-ce que nous foutons là, ou que venons nous faire dans le projet En Rue ?
Corps en mouvement, corps en travail : une mise en image
Martine BODINEAU • octobre 2018
Les scènes du chantier donnent parfois à voir des « ballets » improvisés. Les corps, les gestes, les rythmes s’harmonisent pour déplacer les éléments les plus lourds du mobilier en construction, ou pour tendre des cordes. Une « danse » s’exécute pour tasser la terre autour d’un poteau qui vient d’y être planté, à l’aide d’un second poteau de bois pris à « bras le corps » et frappé au sol en un rythme régulier. Le plaisir de cet « engagement des corps » est perceptible. Un montage photographique.
Une démocratie éprouvée
Pascal NICOLAS-LE STRAT • octobre 2018
Samedi 29 septembre 2018, les membres du collectif En Rue et des habitant·es du quartier Jean Bart / Guynemer s’assemblent au centre du quartier, en cœur d’îlot. L’assemblée est à l’image du quartier, elle mêle les âges et les identités. Il s’agit d’une démocratie hors salle, et hors mur. Elle se tient ici, au beau milieu du quartier, les pieds sur terre et le regard à l’horizon. Il s’agit d’une démocratie de plein air. Une démocratie en prise avec les réalités vécues. Une démocratie éprouvée par la vie. Elle est active et réactive. Elle ne craint ni les coups de vent, qui envolent les idées, ni les courants d’air qui aèrent les pensées.
L’espace public en gestes (et en paroles)
Pascal NICOLAS-LE STRAT • juillet 2018
Avec quels mots restituer une expérience comme En Rue ? Avec quels cadres d’analyse la questionner ? Le projet est multiple, et change fréquemment de visage au cours d’un même chantier. Parfois ventriloque, un peu transformiste, il parle à plusieurs voix et revêt de nombreux aspects. Un outil intéressant pour étudier le projet En Rue pourrait être le concept-image de « geste ». Cet outil d’analyse joue à la fois comme concept et comme image. En tant que concept, il fonctionne classiquement comme un instrument de lecture. Il permet de se rapporter à une réalité et de la « lire », de la décrypter et de la déchiffrer. Et, comme toute image, par analogie et métaphore, il donne à « voir ». Il rend visible une réalité latente, ainsi qu’il advient d’une pellicule photographique lorsqu’elle est exposée à un révélateur.
La petite histoire du banc des amoureux
Martine BODINEAU • juin 2018
Chaque objet fabriqué par l’équipe du chantier est construit de manière singulière. Le principe est le réemploi de matériaux et de pièces d’équipements urbains. On choisit des éléments, on les assemble, on fait des essais, on regarde, on discute. L’objet commence à prendre forme et la construction peut commencer. Chacun a donc son histoire qui se mêle à celle de la vie du chantier. Une histoire illustrée d’un de ces objets, le « banc des amoureux ».
Disponibilité (Le Chantier et ses Zones d’attraction temporaire)
Pascal NICOLAS-LE STRAT • juin 2018
Le Chantier En Rue suit son cours ; il démarre, fait relâche au bout de quelque temps et se relance peu après, pour se remettre en pause un peu plus tard. Qu’est-ce qui rythme l’activité ? Comment l’activité trouve-t-elle son rythme ? Cette compréhension des « rythmes » du Chantier, ou plutôt des rythmes propres aux différents « petits » chantiers constitutifs du Chantier d’ensemble, est une question de recherche qui importe. Une des qualités du projet En Rue tient à ce les activités s’interrompent facilement pour en accueillir d’autres, pour permettre une discussion, pour laisser place à une rencontre, pour donner un coup de main ou, simplement, pour s’offrir un moment de détente. Cette « disponibilité » est essentielle ; sans elle, le Chantier ne parviendrait pas à associer les habitants, dont la venue et la participation sont difficiles à anticiper.
En quête de questions
Pascal NICOLAS-LE STRAT • juin 2018
Qu’est-ce que nous venons faire dans le projet En Rue ? Qu’est-ce que nous foutons là ? En nous confrontant à cette question, nous sommes de plain pied avec ce qu’est le travail de recherche. Le sociologue qui commence à « produire » avant d’avoir décrypté et explicité (un enjeu de méthode) ce « qu’il fout là » se comporte comme un « fou du volant ». Il manœuvre un outil puissant (l’usage des mots, la mise en langage, le processus d’analyse…) sans en prendre complètement la mesure et sans l’avoir vraiment « en main ». Une sociologie qui ne clarifie pas son mode d’engagement (son mode d’emploi) est aussi risquée qu’une scie électrique mise entre les mains d’un parfait néophyte. Le sociologue est une personne « en quête de questions ». Dans le cadre du projet En Rue, qu’est-ce qui fait question ? Qu’est-ce qui fait problème ? Qu’est-ce qui fait différence ? Qu’est-ce qui est problématique ? Toutes ces questions vont progressivement donner forme à la recherche.
« Faire l’En Rue avant l’ANRU »
Louis STARITZKY • juin 2018
« Faire l’En Rue avant l’ANRU ». Je ne me souviens plus précisément qui a prononcé cette phrase la première fois que je l’ai entendue. Nous étions dans les locaux du club de prévention, c’était lors de notre premier déplacement. Nous n’étions pas encore engagés dans le projet En Rue, nous ne faisions pas encore partis de l’équipe. « Faire l’En Rue avant l’ANRU »n cette phrase avait fait écho chez moi d’une façon particulière mais je ne savais pas encore tout ce qu’elle pouvait recouvrir, ici, à Saint-Pol. Elle entrait alors en résonance avec les projets de rénovation et réhabilitation que j’avais pu observer sur la région parisienne et plus spécifiquement aux transformations urbaines qui s’étaient opérées dans plusieurs quartiers du 13e arrondissement. En entendant cette phrase, j’avais aussi en tête les travaux critiques en sciences sociales sur la politique de la ville. C’est finalement ma première expérience du chantier En Rue, notre entrée sur le terrain, qui m’a permis de comprendre cette phrase dans toute sa densité. Je propose donc, ici, de la « mettre au travail » après l’avoir éprouvée lors de notre première phase de chantier.
Qu’est-ce qu’En Rue fabrique (comme recherche) ? La recherche fait chantier, le chantier fait recherche
Pascal NICOLAS-LE STRAT • juin 2018
Ce texte restitue les hypothèses d’engagement de la recherche dans le projet En Rue qui ont été présentées en équipe le vendredi 4 mai à 18h30, assis en cercle dans l’herbe, par temps doux, en grignotant quelques chips, un verre de soda ou de vin à la main, dans le quartier Degroote à Téteghem. La sociologie en chantier ; Le chantier fait méthode pour le sociologue ; Équiper le chantier avec la sociologie ; Faire recherche avec les objets ; Faire recherche en situation ; Le chantier se met en recherche ; Les outils à la main ; Qu’est-ce que le chantier fabrique ?; La vie en chantier ; La recherche en traduction ; Des ponctuations de recherche ; La recherche épiphyte.
En chantier… en recherche
Martine BODINEAU • juin 2018
Un regard, en images et en mots, sur le chantier de mai 2018 à Saint-Pol-Sur-Mer et Téteghem.
Parmi plusieurs centaines de clichés pris ces derniers jours (entre le 1er et le 6 mai), nous sélectionnons les photos, Pascal et moi, à partir de deux critères : cette photo est elle intéressante, en tant qu’image ? Raconte-t-elle quelque chose du chantier « En Rue » ? Nous commençons à légender les images. Pour certaines, le choix se tranche rapidement. Pour d’autres, nous hésitons. J’ai besoin de m’isoler tout en restant proche du cœur de l’activité. Je m’installe dans la cabine du camion. Je manipule les images, modifie leur enchaînement. Pascal est allé faire un tour dans le quartier. Il me rejoint et, debout à côté de la portière, cherche avec moi les légendes manquantes…
Fanzines En Rue
Dans le cadre de la « permanence de recherche », Louis Staritzky a lancé l’hypothèse d’un Fanzine, qui est vite devenue une affaire collective. Un extrait de l’édito du #0 de ce Fanzine En Rue : « Et le fanzine alors, c’est quoi ? Lorsque nous avons lancé l’idée du Fanzine, plusieurs personnes dans le collectif ne savaient pas ce que c’était et celles qui le savaient ne savaient pas l’expliquer, alors le plus simple sera de partir de la définition qu’en donne Wikipédia : « Un fanzine est un « journal libre », souvent sans existence officielle (…) publié sous l’égide du Do it yourself (« faites-le vous-même », slogan de Jerry Rubin repris par les punks en 1977), souvent spécialisé, qui n’est soumis à aucun impératif de vente (…). Souvent militant dans le champ culturel (au sens large), l’esprit des fanzines se retrouve dans le slogan du réseau alternatif Indymedia : « Ne critiquez pas les médias, soyez les médias. » Ce fanzine s’inscrit donc dans cette histoire politique et culturelle de publication indépendante, notre manière à nous de dire « Ne critiquez pas la rénovation urbaine, soyons la rénovation urbaine. » Il s’adresse principalement aux habitants des quartiers Guynemer / Jan Bart et Degrotte mais pourra également intéresser toutes les personnes qui portent un intérêt aux questions que nous soulevons. Ses modes de diffusion sont discutés dans ce premier numéro: « Où est-ce qu’on dépose nos Fanzines ? » (si vous l’avez en ce moment même entre les mains, vous avez déjà un début de réponse !). Ce fanzine a la particularité de s’inscrire plus globalement dans un projet de recherche, à la fois comme un outil et un dispositif de nos recherches en cours sur ces quartiers. Quatre fanzine ont été publiés.
Les Fanzine En Rue #3, Fanzine En Rue #2, Fanzine En Rue #1 et Fanzine En Rue #0 peuvent être consultés en ligne dans la fanzinothèque « Comme un fanzine ».
Brochures En Rue
La plupart de nos écrits de recherche ont été distribués aux habitant·es des quartiers Jean Bart / Guynemer (Saint-Pol-sur-Mer) et Degroote (Téteghem) sous la forme de brochures. Nous souhaitions communiquer nos textes sur un mode moins classique et, sans doute, moins intimidant. Ces brochures ont été diffusées de la main à la main (un colportage de recherche). La brochure peut se glisser dans la poche arrière d’un jean ou dans la poche intérieure d’une veste. Ce format est une invitation à une lecture plus libre.